09 novembre 2005

L'Algérie face aux défis politiques, économiques et culturels


Conférence de Mustapha Cherif* prononcée en avril 2004 au Rotary Club de Paris, devant plusieurs centaines de chefs d’entreprises et d’intellectuels qui s’intéressent aux relations entre l’Algérie et l’Europe

Je voudrais, vous dire, pour marquer cette dimension de l’ouverture sur l’universel : "Salut, Shalom, Salam." pour marquer l’intention du penseur arabe, musulman, du professeur que je suis, de la volonté de témoigner. Le mot que je partage comme vision du monde avec Monsieur le président et beaucoup d’entre vous est le mot "témoigner". Il ne faut pas prendre ce mot, "témoigner", de manière passive. En effet, il s’agit de témoigner, à la fois de notre engagement pour les idéaux que nous pouvons partager, et exprimer des nuances et des divergences qui peuvent marquer la différence comme richesse.
L’Algérie est le pays natal, le pays de travail, ou le pays voisin de beaucoup d’entre vous. En Algérie, contrairement aux apparences, et ce y compris parmi les jeunes générations, nous assumons notre ‘’francité ‘’ et notre "méditerranéïté". Nous espérons que l’"algérianité", l’arabité et l’islamité, culturellement parlant, de la France, qui peuvent constituer une part de beaucoup d’entre vous soient aussi vécues ainsi.
Aujourd'hui nous sommes pris entre deux feux, entre les extrémismes de tous bords, du nord et du sud, qui s’inscrivent dans la fermeture. Notre travail consiste justement à œuvrer pour que l’ouverture soit la ligne de partage, entre nous et ceux qui ne comprennent pas la nécessiter du dialogue et de l’échange. Nous savons que l’ignorance constitue la source principale des préjugés, alors parler, dialoguer et pratiquer l’inter connaissance représentent pour moi des maîtres mots. L’Algérie, pays en voie de développement fait face à plusieurs défis, comme de nombreux peuples, arabes ou non, et aussi de manière particulière. Les défis sont politiques, économiques et culturels. Que pouvons-nous dire sur le contenu de ces défis ?

Sur le plan politique.
Il s’agit de la démocratie, nous ne pouvons pas mobiliser un peuple pour sortir du sous-développement, s’il n’est pas concerné par le choix des responsables et des programmes. Vous voudrez bien m’excuser pour le terme "mobiliser", car il semple quelque peu disciplinaire, il s’agit simplement de responsabiliser les citoyens. Il faut donc que la démocratie, qui n’est pas un luxe mais une nécessité, soit comprise en termes de pédagogie, pour aboutir à ce que chacun et tous lient les droits et les devoirs.
Dans mon pays, nous avons depuis 1989, ouvert le champ du libéralisme, du pluralisme et des objectifs démocratiques. Certes, il n’est pas possible de changer une société par décret, toujours est-il que l’Algérie est aujourd'hui un des rares pays arabes où il existe de la liberté d’_expression parfois avec ses excès et difficultés, une pluralité politique, une classe politique plurielle qui tente d’agir dans la concurrence et dans l’émulation, malgré les pesanteurs, les entraves, des insuffisances, des défauts … car la démocratie est toujours a venir. Car seules les réformes initiées et assumées du dedans sont valides. Mais sans un projet politique clair et une équipe compétente et engagée, arrivée au pouvoir démocratiquement, le monde arabe restera à la traîne. Et il est regrettable que, sans ingérence, l’Occident ne favorise pas cette dynamique.

Sur le plan économique :
Le passage de l’économie planifiée à l’économie de marché n’est pas évident. Cependant les potentialités de l’Algérie sont énormes, tant sur le plan des ressources naturelles que sur le plan des ressources humaines. Nous avons aujourd'hui près de 700000 étudiants à l’université, alors que nous en avions à peine 1000 en 1962. Nous avons le taux d’illettrés le plus bas du monde arabe : 25 % alors que la moyenne dans ces pays se situe entre 40 et 50 %.

Par ailleurs, nous avons un potentiel industriel relativement important. Comparativement en Afrique, l’Afrique du Sud, l’Algérie et l’Égypte sont trois pays qui ont globalement des bases industrielles et un tissu économique solides. Seulement, ils sont parfois obsolètes et dépassés. Or les réajustements structurels et la mise à niveau rencontrent des difficultés parce qu’il faut changer les mentalités, s’adapter aux nouvelles normes. Notre accord d’association avec l’Union Européenne, notre entrée prochaine dans l’Organisation Mondiale du Commerce et un certain nombre de mesures liées à des réformes internes fondées sur les ressources humaines peuvent nous aider à mieux nous adapter à l’économie de marché. Certaines questions posent problème en Algérie comme dans d’autres pays. Parmi ces questions, celle de la justice sociale.
Le domaine culturel : Il existe des résistances ou des refus à payer des factures, qu’elles soient politiques, sociales ou culturelles. Il s’agit parfois de combats d’arrière-garde. Il faut que nous assumions. Globalement, nous n’avons pas le choix, mais nous avons le devoir de corriger, rectifier et adapter ce qui peut nous paraître contraire à nos intérêts et valeurs. Nous devons assumer les exigences de l’universel, sans toutefois perdre nos racines et nos sources. L’enjeu est essentiel. "Comment être moderne sans perdre nos racines ?" Nous sommes pleinement conscients qu’il n’existe pas, aujourd’hui, d’autres alternatives à l’économie de marché et que la libre entreprise constitue un élément essentiel de la production des richesses. Le libéralisme, s’il est bien compris et assumé en fonction des spécificités locales, représente la voie possible vers le développement et le progrès. Mais nous nous heurtons à des problèmes de fond , sociaux et culturels. La société de consommation, de la jouissance à tout prix, areligieuse et permissive pose des problemes graves , pour ceux qui sont attachés à la mesure, au juste milieu, à un certain sens de la vie et à la justice . Nous devons éduquer nos enfants sur le civisme et l’intérêt du service public, loin de toutes les idéologies. Le problème de la modernité est d’abord un problème de comportement, de civisme et d’éducation. Cela englobe la tolérance, l’ouverture, l’intérêt du sens public, sans confusions qui pourraient constituer des freins.
Sur le plan culturel nous savons qu’une identité n’est jamais figée. C'est l’expression d’un rapport au temps, à l’espace, à une époque, à des valeurs. Nous essayons d’allier ce que nous pouvons appeler des valeurs pérennes avec les valeurs évolutives, authenticité donc et modernité, c’est le défi d’aujourd’hui et de demain. La réforme de l’école doit nous y aider, en prenant en compte dans son contenu l’évolution des sciences et des techniques, les valeurs universelles mais aussi des valeurs propres, qui sont pour nous liées à notre religion et à notre idéal de justice. Ces valeurs spirituelles et morales doivent nous permettent de garder des repères sur nos rapports à l’autre, nos rapports au monde, le rapport à la mémoire, le sens de la vie et de la mort.
Nous avons encore beaucoup de choses à faire, le chemin est long. Toutefois, je pense que l’Algérie, qui a une position géostratégique privilégiée et qui a toujours payé le prix fort pour être libre, aujourd’hui un des plus grands pays arabes qui est méditerranéen, a perdu beaucoup de ses complexes. L’Algérie a fait tomber beaucoup de tabous. Aujourd'hui nous voulons assumer notre méditerranéïté, tout en veillant à ne pas déstabiliser un certain nombre de nos repères liés aux sources, à notre héritage historique et civilisationnel...Ensemble algériens et français, par l'échange et le partage, ont peut donner l’exemple d'un universel cohérent.

*Tous droits réservés. Reproduction interdite

2 Comments:

Anonymous Anonyme said...

L'orientation générale de votre pensée me semble vitale aujourd'hui pour le rapprochement et la paix.

Merci

27/11/05 14:15  
Anonymous Anonyme said...

Votre discours, en général, est salutaire. Et pour l'Algérie, son devenir et les peuples qui, pour des raisons historiques et politiques, sont en constant rapprochement avec le peuple algérien.

Je vous remercie, Monsieur, de vous atteler à expliquer que la voie juste se trouve entre l'écoute, l'ouverture d'esprit et la reflexion d'une part et la fidélité intelligente aux sources de notre Révélation d'autre part.

Vous dressez néanmoins un constat excessivement optimiste par moment sur les capacités de la jeune génération algérienne à voir les choses dans ce sens. Il y a lieu de remarquer aussi que la reflexion en Algérie sur le devenir commun des peuples et le vivre-ensemble n'a pas pris cette dimension rassurante et optimiste qui nous tranquilliserai sur l'avenir de notre pays.

Un lecteur assidu de votre oeuvre.

Meilleures salutations.

24/4/06 12:53  

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