Dialogue et alliance ou choc face aux défis ?
Les civilisations, les cultures et les religions, dialogue et alliance ou choc face aux défis ?
Par Mustapha Cherif*
« Jésus contre Mahomet, le grand affrontement », « guerre mondiale religieuse », « choc des civilisations » « axe du mal » et tant d’autres expressions, à dessein sans doute, alarmistes, choquantes et provocatrices, l’esprit anti religieux en général et l’islamo- phobie en particulier sont à leur comble. Sans doute une diversion par rapport aux vrais problèmes. Permettez moi de vous dire d’emblée, combien l’approche me semble si peu conforme à la réalité des peuples et des grandes religions monothéistes, malgré les heurts du passé et les fracas de l’actualité. Aucune polémique ne peut défigurer les principes des Messages religieux, comme l’Evangile et le Coran, et l’histoire des deux communautés et civilisations. Tout comme aucun groupuscule, ni les extrémistes politico -religieux qui instrumentalisent la religion, qu'ils soient islamistes ou chrétiens, ni les ignorants qui « détruisent leurs demeures de leurs propres mains », selon l’expression même du Coran, ne peuvent altérer ou perturber l'amitié entre les croyants et les êtres soucieux de justice. Les Prophètes, sont innocents de ce qui se fait en leur nom. Tout en pratiquant, à juste titre, la critique, la vigilance et l’information, il ne faut pas confondre la théorie et la pratique, car les mauvais croyants ne sont pas l’islam ou le christianisme. Sur le plan du sens du Message, quant au dialogue et rapport interreligieux, vous savez qu’un des points majeur du Coran oriente les musulmans vers le dialogue, l’ouverture, et l’affirmation de la reconnaissance, du rappel, la confirmation des Messages antérieurs dans le cadre de l’histoire du Salut monothéiste: «Ceux qui croient, ceux qui suivent le judaïsme et les chrétiens, quiconque croit en Dieu et, au jour dernier, effectue l’œuvre salutaire, ceux-là trouveront leur récompense auprès de leur Seigneur. Ils n’ont pas de craintes à nourrir, et ils n’éprouveront nul regret». Les rappels insistants et multiples, à des centaines de reprises, de l’histoire des prophètes bibliques, de Noé à Abraham, de Jacob à Moïse, et l’histoire du Messie Jésus, fils de Marie, verbe de Dieu, fortifié par l'esprit saint, tous ces faits religieux relatés par le Coran explicitent le Message, qui se veut d’abord récapitulation et rappel. La figure d’Abraham, par exemple, emblématique du monothéisme, est centrale dans le Coran. Il est le modèle: «Moi, Dieu, j’institue Abraham en modèle pour les hommes». Il est le modèle universel, dont personne n’a le monopole; il est possible à tous de suivre cet exemple. Nul n'a donc l'exclusivité de la vérité, même si chacun croit détenir la vérité parfaite. « Mon coeur est apte à recevoir tous les êtres », cette parole de soufi est celle de tous les musulmans sincères. Croyants, nous sommes tous en exil, assoiffés de sens spirituel, à la recherche du divin, étrangers, humains mis à l'épreuve, dans un monde complexe. La différence entre les musulmans, les juifs, les chrétiens, et les croyants en général est définie, par le Coran, à partir d’un seul critère universel, la piété: «Ceux qui croient et pratiquent le bien sont les meilleurs de tous les êtres créés». Etre pieux, c’est rester fidèle à l’Ouvert; la meilleure manière d’exprimer cette fidélité à Dieu , c’est de pratiquer l’ouverture à l'autre, comme expression de l’existence mise à l’épreuve à la fois du retrait de Dieu, l'Absent-Present, et de la différence entre les peuples , les cultures et les religions.
Sans naïveté, ni syncrétisme ou relativisme, on peut dire qu'il n’y a pas d’exclusivité de la vérité; il est prescrit aux musulmans de dire: «Nous croyons à la descente sur nous opérée, sur vous opérée, notre Dieu ne fait qu’Un avec le vôtre. Dans le contexte des défis de l’heure, de la mondialisation de l’insécurité et de l'injustice, devant la difficulté de proposer un projet de société cohérent, devant la crise du sens et le désordre mondial fondé sur la loi du plus fort dont souffre le monde, le dialogue et l’amitié entre les gens du Livre apparaissent comme des perspectives d’espérance : d’ailleurs, de ce dialogue et de cette amitié, personne ne pourra le contester, on peut dire, malgré les différences et les antagonismes, qu’ils sont le dialogue et l’amitié entre l’Orient et l’Occident. D’autant que la vertu par excellence, en Islam, se dénomme Ihsan, le bel agir, c'est-à-dire le fait de bien agir envers l’autre. El mouachara, la coexistence, est non seulement possible mais exigée. El uns, la compagnie de l’autre différent, m’ouvre la possibilité de m’étonner. Je reconnais que je ne maîtrise pas le fond du fond, je n’ai pas la garantie de transformer la distance en proximité, le retrait en ouverture, le secret de la vie excède ma capacité de garantir l’avenir.
La première cause des lectures fermées renvoie à l’oubli du contexte de la Révélation: le Coran a été révélé durant environ vingt-trois ans. Les raisons immédiates de la descente et le contexte dans lequel il a été transmis relèvent à la fois de l’histoire du salut et des contingences de l’époque. De façon générale, les lectures figées, apologétiques et idéologiques du Texte ne tiennent pas compte de cette donnée. Elles extrapolent et trahissent ainsi le sens d’une Parole qui est, nous l’avons vu, foncièrement ouverte, puisque la Révélation, c’est l’Ouvert qui s’ouvre et nous demande d’être dignes de cela. La fermeture est à contre-courant du sens révélé; elle pétrifie ses repères et les empêche de relativiser les positions fermées; elle peine à comprendre, par exemple, que tel ou tel verset, à l’époque, a été révélé dans une situation particulière, qu’il vise à donner de la force au droit, et non pas à soumettre le droit à la force. C’est évidemment pour le croyant une Parole incréée, valable de tout temps et en tous lieux, mais cela n’empêche pas de reconnaître que nombre d’injonctions, de faits, de recommandations ouvrent la possibilité de faire évoluer l’interprétation; c’est ainsi qu’on permettra aux générations futures de mettre en place les conditions nouvelles de la compréhension, ainsi que des pratiques nouvelles pour ce qui concerne l’application. Même si rien ne peut justifier l’extrémisme, les lectures fermées et les pratiques violentes, la question de l’ambivalence constitue la deuxième cause. Les courants fermés, rétrogrades, obscurantistes font une lecture sélective des versets qui aboutit à une amputation du sens plénier. Tout le monde sait, en effet, que, dans la plupart des choses, dans la majorité des êtres créés et des situations possibles dans l’existence, l’expression de la vérité comporte une certaine forme d’ambivalence. Dans toute réalité, il y a, en général, deux aspects, l’un majeur et premier, l’autre mineur et second, ce dernier pouvant toutefois être pris en considération quand on veut comprendre le réel.En Islam, le monde n’est pas un matériau dont le sens se donne d’emblée, il y a lieu de lui prêter attention et à son au-delà. Il nous faut assumer la complexité, la difficulté, à la limite de l’impossibilité. Malgré cela et toutes les épreuves, comme la dureté de la vie, sa fragilité, la marginalisation de la religion, l’existence n’est jamais vraiment tragique . Le monde se fait et advient comme si nous ne savions pas assumer la question de la différence et bien plus, nous n’existions plus, ni religieusement, ni politiquement, pris dans le piège des excès de toutes natures ou de contre nature. Il nous faut assumer la modernité et la mondialisation, sans renoncer à ce qui fonde notre vie: le rapport entre l’unité et la pluralité, le rapport au divin, le rapport à la liberté pour accéder à une nouvelle civilisation universelle qui fait tant défaut.
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