05 septembre 2006

Conférence Internationale à Paris

Desserrer l’étau
Par Mustapha Cherif
Des intellectuels des pays de la Méditerranée, à l’invitation de la France, se réunissent durant trois jours à Paris, les 13 -15 septembre, pour tenter de penser les problématiques du dialogue et de l’alliance des cultures. Pour nous autres peuples du Sud, musulmans, il y a des questions de fond, qui se posent au monde. Aujourd’hui l’humanité vit une crise de références, de valeurs et de droit. Les espoirs déçus au regard des dérives du progrès et de la modernité sont symboliques de l’état d’esprit dans lequel se trouvent les peuples. Quel est le projet de société valide où la logique, la justice et le sens sont en cohérences et répondent aux aspirations des gens au Nord et au Sud ? Comment apprendre à vivre ensemble, de manière évolutive, équilibrée, dans le respect de la différence ? Alors que notre monde est marqué par la perte de sens, les injustices, la violence aveugle, la complexité et des métamorphoses incontrôlées, l’exercice de la pensée, le dialogue des cultures et interreligieux sont parmi les voies privilégiées pour nous aider à relever les défis. Face aux incertitudes et aux risques de l’existence, rien n’est donné d’avance. L’Occident classique a été judéo-islamo-chrétien et gréco-arabe, et certains par ignorance ou oubli, au Sud comme au Nord, s’imaginent qu’il fut seulement judéo-chrétien et gréco-romain. Le temps n’est plus d’endurer, par le silence, le refus suicidaire de former un monde où unité et pluralité s’harmonisent.

Nous sommes confrontés aux mêmes défis, de la fin d’un monde, qui n’est pas la fin du monde : 1-Sortie de la religion de la vie, bien plus qu’un désenchantement.-2-Dépolitisation de la société, avec ses conséquences d’affaiblissement des liens sociaux, de difficultés à peser sur le devenir. 3- Refus, par certains, du dialogue, de la négociation, de la tolérance. Situation marquée par le recul du droit, et difficulté d’expression des nouvelles minorités dans la Cité. Le problème se complique du fait que des interprétations fermées de notre texte fondateur le contredisent, ou, au contraire, des lectures modernistes l’abordent de manière réductrice et perdent de vue sa visée. Tout comme la philosophie et les principes humanistes se trouvent de plus en plus bafoués par les considérations mercantiles. Résultat, ni la vie au sens Abrahamique et spirituel, ni la vie au sens humaniste et philosophique ne dominent. Nos univers sont encerclés par- la techno-science - le Marché monde - et le fanatisme de puissants et de faibles. La mondialisation se veut totale. Elle cherche une mobilisation totale, même si ce totalitarisme ne se présente plus sous sa forme brutale de naguère. Il s’agit pour elle de modeler tous les systèmes – éducatifs, culturels, sociaux – sur les besoins des entreprises commerciales et au profit d’une minorité. Le processus infini d’accroissement de la production, lié à l’ambition folle d’hégémonie sans partage, a franchi la limite au-delà de laquelle il n’est plus possible pour lui de dissimuler le besoin de totalité qui lui est inhérent. Mondialisation, totalisation: nous sommes engagés dans une destination inconnue. L’individu moderne ne sait plus comment fonder la validité de ses actes personnels et de ses projets propres; pas plus qu’il ne sait agir sur les événements, décider de son avenir, vérifier ce qui est bon et utile. Une des causes est l’absence de vrai dialogue avec l’autre différent. Alors que rien n’empêche que la question de l’être moderne se conçoive à partir des possibilités propres à une autre culture, le système dominant refuse le droit à la différence et l’accueil de l’autre. La politique des deux poids et mesures aggrave le tout. Les errements de certains inauthentiques adeptes de l’Islam, qui usurpent son nom, sont instrumentalisés et comptabilisés comme découlant des références culturelles, alors que les causes sont avant tout politiques.

Un être sensé, pour accéder à l’universel, ne peut se passer ni de vivre dans l’ouvert, avec l’autre, ni de la recherche publique et commune des justifications fondamentales. Personne n’a le monopole de la vérité. L’ouvert est le concept à privilégier contre la prétention à détenir le seul model valide. Faire face aux tentatives iniques d’hégémonie, de domination brutales ou insidieuses et aux réactions irrationnelles, est une urgence. La démocratie sans jamais mépriser le religieux et l’autre différent, sont la voie. La question de la relation entre la religion et le politique : l’Islam ce méconnu, comme disait Jacques Berque, est séculier dés le début. Ce qui n’empêche que les musulmans sont dénommés communauté de juste milieu soucieuse de ne pas opposer les dimensions essentielles de la vie. Trois raisons justifient le besoin vital de dialogue et la nécessité de le réinventer, ou le poursuivre et le consolider: 1- Nos textes fondateurs, non seulement recommandent le dialogue mais l’exigent. 2- Notre histoire, par le passé l’Occident était judéo-islamo-chrétien et gréco-arabe, pas seulement judéo-chrétien et gréco-romain.3-Les défis tragiques, complexes et les incertitudes de notre époque.

Le dialogue des cultures et des religions à pour horizon de réfuter la logique infondée de la confrontation, de rappeler ces trois points fondamentaux et d’approfondir la maîtrise des problématiques. Vivre ensemble, passe par l’interconnaissance. La recherche d’une nouvelle civilisation, qui nous fait tant défaut, est l’objectif fondamental. Parler de dialogue des cultures et religions, au milieu d’une actualité féroce, n’est pas naïf, ni idéaliste, c’est reconnaître, sans relativisme, ni syncrétisme, que l’autre est un être humain, qu’il a une religion, de la même famille, et dispose d’une part de vérité. C’est, en somme, tenter de desserrer l’étau, dans lequel on veut nous enfermer.